La traduction comme (mé)tissage : le cas de Princesa

Simona Elena Bonelli
Universitè Aix‐Marseille
(FRANCE)

Résumé

Princesa est un des premiers textes de la littérature migrante en langue italienne, publié en Italie en 1994. Il s’agit d’une écriture réaliste et documentaire qui narre les métamorphoses et les créations identitaires et sexuelles de Fernanda, une personne transgenre immigrée du Brésil en Italie à la fin des années 1980.

Ce qui rend cette narration singulière, est la réfraction entre le corps du protagoniste et le corps du texte : pendant sa détention dans la prison de Rebibbia, à Milan, un berger sarde devient son confident et ensemble ils écrivent la vie de Fernanda dans une langue qui est un mélange de leurs langues maternelles (portugais et sarde). Le brigadiste rouge Maurizio Iannelli – se trouvant dans la même prison – est fasciné par cette narration, et traduit le texte en italien.

Les deux transcripteurs­traducteurs entretiennent avec la narration de Fernanda un corps à corps qui passe de l’oralité à l’écriture, d’une langue à l’autre, et dont le résultat final est une version en italien qui laisse entrevoir l’origine portugaise, à travers des phrases en langue originale qui exaltent les moments de la narration, mais aussi pour la présence d’un glossaire qui explique les mots portugais qui restent intraduisibles. Le processus de traduction produit un nouveau texte, tout en révélant l’ancien, dans un va­et­vient entre original et traduction.

L’étude d’un texte original qui est un texte hybride, métissé, le produit d’un processus d’écriture­traduction, est un intéressant point de départ pour une analyse théorique de la traduction vue comme ouverture, dialogue, décentrement. Ce genre de texte semble effacer la distinction traditionnelle entre langue de départ et langue d’arrivée, pour produire ce que Edouard Glissant appelle une « intervalorisation », lorsqu’il définit l’identité comme rhizome.

La traduction rend possible l’ouverture à l’Autre et constitue, par conséquent, un des premiers actes de culture. Traduire c’est penser la culture non seulement comme fondement de toute  compréhension, mais aussi et surtout comme rapport et rencontre avec l’altérité : traduire sans culture(s) n’est pas traduire. La figure du traducteur qui, dans le cas de Pricesa, succombe au charme de l’altérité et à l’étrangeté de l’original, opère au milieu d’une pluralité de langues et de cultures, faites de tissages et métissages.

Mots-Clés :métissage, traductologie, migration, rhizome, transculturalité, Princesa, Farìas de Albuquerque (Fernanda).