Etant l’outil idéal de la connaissance de la culture arabe, la langue arabe constitue la langue de notre patrimoine. Son statut reflète l’état actuel de notre monde arabe. De ce fait, l’intérêt qui lui est accordé, et l’effort déployé en vue de son expansion, vont de pair avec le projet de maintenir notre identité arabe loin de toute déformation, de tout effacement. Une ouverture au monde grâce à un côtoiement direct avec les différentes civilisations, semble également important pour la naissance d’un esprit arabe doté de valeurs universelles, et donc capable de rivaliser avec son analogue étranger.
Quel est le rôle de la traduction dans la dialectique entre le Moi arabe, aspirant à internationaliser sa culture et sa langue, et l’Autre ?
Notre présente étude se charge de répondre à cette question. Nous tenons à démontrer le rôle de la traduction dans ce dialogue fascinant entre, d’un côté, notre langue arabe, et d’un autre, les différentes langues et cultures étrangères.
En fait, la traduction joue, depuis des siècles, un rôle central dans le maintien d’un dialogue entre les langues et les cultures humaines. C’est par le biais de la traduction que l’identité arabe se réalise au sein même de l’altérité.
“Cette découverte de l’autre à travers d’un transfert linguistique est à la fois une marque d’intérêt et de curiosité et le garant de la préservation d’une identité.” ([1])
Pour mieux se comprendre, il faut aussi mieux se traduire. Le rôle culturel fondateur de la traduction commence depuis des siècles, mais la constitution de la traductologie en discipline autonome date des années 1950, quand Vinay et Darbelnet ([2])établissent une typologie des “procédés de traduction”. Et lorsque Nida, en 1960, prêche la création d’une “science de traduire”. ([3])
Historiquement parlant, la traduction littéraire, avec ses caractéristiques fondamentales qu’accompagne souvent une réflexion sur sa fonction et sa nature, a vu naissance, au monde arabe, à l’ époque abbasside([4]), et surtout à Bagdad.
“Les livres qu’on a obtenus au début, venaient de la Grèce. On les a transférés aux pays musulmans, et on s’est mis à les traduire en arabe. On s’est attardé à les propager entre les musulmans. (..) C’est que l’empereur romain avait peur qu’une fois les romains parcouraient ces livres, auraient dû renoncer au Christianisme et retourner au fétichisme. Et par conséquent, ils auraient détruit le royaume romain. C’est ainsi qu’il a collecté ces ouvrages et les a cachés. Quand Yahia Ben Khaled El Barmaki s’est chargé de gouverner l’état abbasside, il a demandé à l’empereur romain de lui envoyer ces ouvrages. Le dernier était heureux de les lui transférer, croyant qu’il portait atteinte, par cet acte, aux musulmans, qui, selon sa pensée, détruiraient l’empire islamique une fois ils accédent à ces ouvrages dite maudits.” ([5]) *
l’ère abbasside témoignait d’une grande floraison dans le domaine de la traduction. Selon Dr. A. Etman([6]), les arabes ont bien digéré et assimilé le patrimoine classique – gréco-romain-, et c’est dès cette ère que nous pouvons parler d’un fusionnement entre la civilisation arabe et son analogue gréco-romain. Il compare le courant traductologique abbasside qui s’étendait du 8ème siècle au 10ème siècle, dans son aspect général, à celui ayant eu lieu à l’ère de la renaissance européenne.
“Nous ne pouvons point imaginer le destin de la civilisation islamique, ni le destin de l’histoire universelle sans le courant traductologique abbasside , où la civilisation islamique a digéré le partimoine classique et s’en est appropriée les grandes valeurs. (..) Ainsi les musulmans sont- ils considérés comme les héritiers des plus anciennes civilisations que l’humanité avait reconnues.” ([7])
En orient, les arabes ont été donc les pionniers de cete science “la traduction”. Ils étaient les premiers à profiter du patrimoine occidental. La traduction a joué ainsi un rôle efficace dans la fondation de la civilisation arabe, dans la découverte de l’Autre à une époque où le Moi arabe dominait le monde.
La présente étude se charge de retracer les traits du lien entre la traduction et le statut actuel de la langue arabe. Nous tenons à mettre en relief le rôle joué par la traduction, de l’arabe vers le français, dans la vulgarisation de la langue arabe.
Nous proposons une relecture d’un théoricien dont les investigations servent de pierre angulaire à la traductologie; à savoir : Antoine Berman. Nous élaborons une étude traductologique de la pièce de théâtre Cléopâtre éprise de paix de Dr.Ahmed Etman. Cette étude serait enrisagée sous l’éclairage décisif de la visée bermanienne du littéralisme en traductologie. Nous nous attardons à élaborer cette étude en vue d’envisager notre problématique, et de répondre à une question très importante :
Dans quel sens. Le littéralisme en traductologie constitue-t-il la garantie d’une préservation des spécifités et des particularités de la langue arabe du texte dramatique d’Etman?
I– Le littéralisme bermanien et l’identité de la langue arabe:
Antoine Berman, l’un des plus importants penseurs de la traduction, explore, sous un prisme différent, la pensée de la traduction. Sa réflexion est basée sur une affirmation :
“La traduction est traduction de la lettre, des textes en tant qu’il est lettre.” ([8])
Selon lui, ce n’est pas un simple “mot à mot”, mais une traduction qui conserve les mots ou la lettre de l’original: “ni calque, ni reproduction, mais attention portée au jeu, des signifiants.”([9])
Berman défend la spécifité de l’œuvre, sa conscience de la valeur de la littéralité du texte de départ est inséparable de la conscience du respect de l’original. Garder l’étrangeté de l’original dans la traduction émane, d’une croyance au droit de l’Autre d’Exprimer sa différence. La traduction est, selon l’approche bermanienne, une transmissibilité plutôt qu’une communication.
Selon Berman, il s’agit de transmettre l’image de l’Autre dans le texte traduit, avec toute son étrangeté et sa différence. Le texte traduit est une expression de son altérité. Le traducteur cherche à “reconnaître et à recevoir l’Autre en tant que l’Autre” ([10]) et à “ouvrir l’Etranger en tant qu’ Etranger à son propre espace de langue” ([11]), il vise enfin d’ “accueillir l’ Etranger dans sa corporéité charnelle.” ([12])
La lettre, dont parle Berman, correspond précisément à la corporéité de l’œuvre. La fidélité à l’original “interdit tout dépassement de la texture de l’original” ([13]) et exige “la ré-écriture de l’original dans l’autre langue.”([14])
La traduction doit “amener sur les rives de la langue traduisante l’œuvre étrangère dans sa pure étrangeté.” ([15]) Berman décrit cette étrangeté de l’original comme “une nouveauté” :
“(La traduction doit) manifester cette pure nouveauté en préservant son visage de nouveauté.” ([16]) Berman est ainsi contre toute thèse, selon lui “négative”, qui cherche à détourner la traduction de sa visée humaniste, en la mettant au service des valeurs idéologiques, qui opérent une négation de “l’étrangeté” de l’Autre ou de l’œuvre traduite. Mathieu Guidère([17]) qualifie cette traduction qui consiste à garder dans la culture-cible les traits caractéristiques de l’œuvre étrangère (sourcière), d’ “exotique” ([18]). Selon lui, une traduction “exotique” est celle qui affiche son étrangéité en maintenant visibles les marques de son origine.
“l’exotisation” ([19]), selon Guidère, veut dire chercher à accentuer les clichés associés à l’image de l’étranger pour mieux satisfaire à la mode de l’exotisme, cela est au prix de quelques entorses consenties aux normes de la culture d’accueil. Le traducteur affiche l’origine étrangère de son produit. ([20])
“Il s’agit de penser l’œuvre en elle-même et non à partir de ses effets. Ce refus de la théorie de la réception est tout à fait essentiel pour une pensée de la traduction. Car nulle part les théories (ou les idéologies) de la réception n’ont exercé autant de ravages que dans ce domaine. C’est au nom du destinataire que, séculairement, ont été partiquées les déformations qui dénaturent plus encore le sens de la traduction hypertextuelle se fondent sur une idéologie de réception.” ([21])
Il oppose la traduction litterale à “la figure régnante de la traduction occidentale” ([22]) qu’il qualifie d’ethnocentrique, hypertextuelle et platonicienne. Il la conçoit comme une déformation de l’œuvre, “une opération douteuse, mensonge et peu naturelle” ([23]), “d’activités viles et dénuées de valeur” ([24])
Berman prêche donc la préservation de l’identité de la langue originale dans le texte cibliste. Il est contre toute théorie privilégiant le sens aux dépens de la lettre. Toute théorie basée sur la captation du sens est, selon Berman, une infidélité au texte original, puisqu’ elle le détache de sa culture, pour en créer un nouveau déformé et infidèle.
“Poser que le but de la traduction est la captation du sens, c’est détacher celui-ci de sa lettre, de son corps mortel, de sa gangue terrestre. C’est saisir l’universel et laisser le particulier. La fidélité au sens s’oppose [..] à la fidélité à la lettre. Oui la fidélité au sens est obligatoirement une infidélité à la lettre. (..) la captation du sens affirme toujours la primauté d’une langue.” ([25])
De ce qui précède, nous pouvons conclure que la traduction de l’Arabe vers le français, selon Berman, préserve le particulier aux dépens de l’universel. L’identité de la langue arabe, du point de vue linguistique et culturel, est mis en relief au projet de la culture cibliste.
La langue arabe est libérée ainsi de toute vision impérialiste. Le texte arabe ne serait plus, en suivant la visée bermanienne, occidentalisé ou métamorphosé.
Il garderait son étrangeté dans l’œuvre traduite. Antoine Berman en prêchant la traduction de la lettre, et en se dressant contre toute méthode traductologique, s’appuyant sur le sens, et cherchant à adapter le texte source en vue d’éviter le choc du lecteur cibliste à l’encontre des particularités exotiques du texte-source, n’a pas spécifié le genre littéraire de l’œuvre traduite.
Est-ce que la traduction d’un texte dramatique diffère de celle d’autres genres littéraires ?
Toute traduction théâtrale est destinée à la représentation sur scène. Traduire le théâtre arabe pour la scène française, c’est certainement accueillir une culture lointaine pour la faire connaître ou public français. Selon Pavis, la traduction théâtrale “n’a de sens, de valeur et d’existence qu’en fonction d’un public-cible” ([26]). D’ailleurs, il place le le traducteur aux côtés du metteur en scène, avec le décorateur, l’acteur et tous ceux “qui adaptent, transforment, modifient, apprêtent, s’approprient la culture et le texte-source pour un public et une culture-cible” ([27]).
II- La traduction théâtrale et le rôle de la réception
Les œuvres dramatiques se distinguent par le fait qu’ils sont adressés à un spectateur et non pas un lecteur. Les répliques dans une pièce de théâtre imitent le dialogue de la vie courante. Elles doivent être claires et exclues de tout jeu d’implicite – sauf s’il s’agit d’un effet spécial voulu par l’auteur – jean vilar* dévoile son refus de jouer des pièces de théâtre traduites :
“(..) les bons textes dramatiques sont marqués par un rythme. Les traducteurs sont en général incapables de retrouver ce rythme et de le rendre sensible dans leurs traductions. J’aime être porté par la respiration d’un texte. Les textes des traducteurs ne respirent pas. C’est pourquoi je préfére maintenant ne plus jouer que des textes dont je possède la version originale. Donc des textes français.” ([28])
Traduire le théâtre c’est s’adresser, sans intermédiaire, au récepteur dont le rôle dans cet acte est innégligeable. Nous notons que Berman était contre la pensée au récepteur lors de l’acte traductologique. En traitant de l’opacité du texte traduit à la lettre, Berman présente au traducteur la solution à cette problématique. Selon lui “la tâche du traducteur” est riche en images qui se détachent nettement sur le fond d’un mouvement de pensée très abstrait de là, la nécessité d’élucider, non seulement, le “labyrinthe” conceptuel, mais d’illuminer les “images” qui l’émaillent. ([29])
C’est à l’aide du commentaire que le traducteur éclaircit l’opacité du texte original. Mais, en matière d’une pièce de théâtre destinée à la représentation devant un public cible, le cas est différent. Les commentaires et les notes paratextuels ne sont pas applicables dans ce cas là. Pavis souligne à ce sujet que :
“Toute traduction – et surtout celle pour le théâtre qui doit être comprise immédiatement et clairement par le public – est une adaptation* et une appropriation à notre présent”. ([30])
Selon Pavis, le traducteur dramatique est “nécessairement ethnocentriste” ([31]) puis qu’il “se détermine en fonction de son anticipation des réactions du public” et que “il juge l’autre culture en fonction de ses propres repères.” ([32])
La traduction théâtrale est donc, selon l’approche “ethnocentriste”*, soumise à l’exigence de la scène et à la culture d’accueil. Le dramaturge conçoit le jeu avec son texte, le traducteur recrée le jeu avec un autre texte pour d’autres acteurs et un autre public.
III- Le littéralisme bermanien et le brechtisme du théâtre d’Etman
Dans notre démonstration précédente, nous avons essayé de jeter un peu de lumière sur le processus de la traduction théâtrale, qui prive le traducteur de la liberté de respecter la lettre du texte original, vu qu’il est cadré par la contrainte du jeu.
Mais quand il s’agit du théâtre d’Etman, le cas est différent. A. Etman, dans sa pièce de théâtre Cléopâtre éprise de paix, témoigne son influence du théâtre allemand de Bertlot Brecht, selon le quel “une représentation distanciée est une reproduction qui permet certes de reconnaître l’objet reproduit, mais en même temps de la rendre insolite.”([33])
La distanciation est la formule clé du théâtre brechtien. L’effet de distanciation au théâtre existait déjà l’époque du théâtre grec antique, où on avait recours aux choeurs qui présentaient le contexte au public pour l’aider à bien comprendre la pièce. Bertlot Breckt est le premier à la théoriser, à la simplifier en un ensemble de procédés qui permettent de rompre l’illusion théâtrale, de manière à ce que le spectateur ne s’identifie pas, et à aucun instant, aux personnages de la pièce. L’effet de la distanciation ou le verfremdung vise à créer une distance entre le spectateur et la représentation, pour qu’il saisisse qu’il est devant un spectacle détruisant ainsi toute illusion théâtrale.
Le théâtre de distanciation de Brecht crée des effets d’étrangeté lors de la représentation pour rendre l’objet reproduit insolite. Le spectateur du théâtre brechtien est perturbé, choqué par l’effet d’érangeté créé par ce théâtre.
Brecht crée les effets d’étrangeté à travers le décor, le maquillage des personnages, les costumes et les accessoires. Etman, l’auteur du livre Le masque du brechtisme et du socialisme ou قناع البريختيه والشيوعية * représente, dans Cléopâtre éprise de paix, et en usant la technique de la distanciation, le version moderne du mythe littéraire “Cléopâtre”.
La reine égyptienne se montre dans une des scènes de la pièce, en chemise et pantalon, discutant l’auteur et le metteur en scène, essayant de rectifier les erreurs commises par les calomniateurs. Elle représente un commentaire à l’acte I scène VI où elle se défend contre l’histoire, qui l’a accusée d’avoir trahi son époux Antoine, en passant une nuit aux bras du roi des juifs Hérode dans son palais.
Le texte traduit (en Français) |
Le texte original (en arabe) |
“Cléopâtre : (ôtant son costume historique qui laisse voir ses vêtements modernes : un pantalon et une chemisette) Non, non, Messieurs, il faudrait couper la scène du roi hébreu parce qu’elle n’est pas fondée … ([34]) |
” كليوباترا : (تنزع ملابسها التاريخية لتصبح شخصية عادية بملابسها العصرية مثل البلوزة والبنطلون) لا … لا … يا سادة … ينبغى حذف هذا المشهد اليهودى … فلا أساس له من الصحة … ” ([35]) |
Le traducteur du texte d’Etman a suivi la visée bermanienne dans sa tâche. Il a respecté la lettre du texte original, sans risquer de se heurter à l’opacité du texte – source. Les personnages de la pièce, pour créer l’effet de distanciation voulu par l’auteur, se détachent de la scène et se mettent à présenter des commentaires sur l’objet de la pièce éclaircissant ainsi toute opacité.
La technique de distanciation adoptée par A. Etman dans son œuvre va de pair avec la visée littéraliste de Berman.
La traduction de la lettre du texte en arabe d’Etman n’a pas nuit au vouloir dire de l’auteur, au contraire elle a préservé l’identité de la langue arabe au sein du texte-cible.
Quand même, certaines reproches pourraient être adressées à la traduction française de l’œuvre d’Etman Cléopâtre éprise de paix.
IV- L’intraduisible dans le texte original
La traduction française de la pièce d’Etman (le texte – cible) Colle à l’original (le texte – source). A l’instar de Berman, le traducteur de Cléopâtre éprise de paix, pense l’œuvre en elle-même et non à partir de ses effets. Selon la visée littéraliste dans la traductologie, un refus de la théorie de la réception est essentiel pour la pensée de la traduction. Quand même, Berman souligne qu’il ne s’agit pas de méthodologie de traduction, or la méthodologie situerait la traduction littéraire et la traduction technique au même niveau. C’est pourquoi Berman traite plutôt d’une “éthique de traduction” et non d’ une “méthodologie”.
Le traducteur littéraire devrait réaliser un équilibre entre la culture – source et la culture – cibliste lors de l’accomplissement de sa tâche traductologique. Une affaire sensible qui pourrait échapper au traducteur. Et c’est le cas du traducteur de Cléopâtre éprise de paix. Des couches du texte original étaient intraduisibles, ce qui nuisait au vouloir dire de l’auteur.
IV- 1- La traduction des proverbes arabes
Notre traduction |
Le texte traduit
(Français) |
Le texte original
(arabe) |
C’est ainsi qu’on jette de l’huile sur le fer. |
“(..) Ainsi ne ferons-nous qu’aggraver la situation” ([36]) |
* ” المؤلف : وبهذا تغرق الناس فى الأوهام والأحلام .. ونزيد الطين بلة ” ([37]) |
Est-ce que je pourrais-me laisser piqué d’un même serpent deux fois ? |
“(..) se peut-il qu’on puisse commettre deux fois la même erreur fatale ?” ([38]) |
“أنطونيوس : (..) وهل سأسمح لنفسى بأن ألدغ من نفس الجحر مرتين ؟” ([39]) |
C’est ainsi que lors- que l’homme quitte sa maison, il perd sa valeur. |
“(..) Quand le maître abandonne son foyer, son honneur en est amoindri” ([40]) |
” إيزيس : (..) عندما يرحل صاحب الدار عن داره يقل مقداره” ([41]) |
La recherche d’un équilibre raisonné entre la source et la cible constitue l’engagement le plus difficile du traducteur littéraire.
IV – 2 – La traduction des emprunts au Coran
L’explicitation des emprunts au Coran |
Le texte français traduit |
L’emprunt au Coran |
Le texte arabe original |
Ô vous qui avez cru ! si un pervers clair [de crainte] que par inadvertance. Vous ne portiez atteinte à des gens et que vous ne regrettiez par la suite ce que vous avez fait([42]) |
“Modère tes paroles, frère ! La courtoisie que nos pères nous ont en seignée, veut que nous respections nos voisins jusqu’au septième degré”([43]) |
” يا أيها الذين آمنوا إن جاءكم فاسق بنبأ فتبينوا أن تصيبوا قوماً بجهالة فتصبحوا على ما فعلتم نادمين” ([44]) |
” تحشم يا أخى … لا تقذف المحصنات … عسى أن تصيبوا قوماً بجهالة ” ([45]) |
Ô les croyants le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées, les flèches de divination ne sont qu’une abomination, œuvre du Diable. Ecartez-vous en, afin que vous réussissiez. ([46]) |
“ (..) Elle ressemble au malheur qui vient frapper les gens aux moments les plus inopportuns”. ([47]) |
” يا أيها الذين آمنوا إنما الخمر والميسر والأنصاب والأزلام رجس من عمل الشيطان فاجتنبوا لعلكم تفلحون “.([48]) |
” الوزير : (..) هذه الملكة رجس من عمل الشيطان … ” ([49]) |
Adopter la visée littéraliste de Berman dans la traduction de ces emprunts qu’A. Etman fait au Coran ne traduit point le vouloir-dire de l’auteur, et nuit à la fidélité à l’original. Etre fidèle au texte original veut dire éclaircir tous les zones obscures dans le texte-cible. Se contenter d’une traduction littéraliste de ces emprunts au Coran porte atteinte au récepteur qui perd son droit à accéder à l’essence même de l’œuvre traduite, à la culture de l’Autre islamique que le traducteur choisit d’omettre. Berman appelle
” une mauvaise traduction la traduction qui, généralement sous couvert de transmissibilité, opère une négation systématique de l’étrangeté de l’œuvre étrangère”[50]
En fait, nous ne pouvons point juger si le comportement du traducteur vis-à-vis de la traduction du contexte islamique de l’œuvre d’Etman émane d’une ignorance de la culture islamique ou d’une décision prise par son cogito pré-traductionnel* . Le respect du vouloir-dire de l’auteur n’est pas complètement réalisé dans la traduction du texte d’Etman. Autre que la négligence dont le traducteur fait preuve à l’égard du langage islamique du texte d’Etman, il a témoigné de son ethnocentrisme en omettant les prédictions sibylliennes qui se trouvent à l’ouverture de l’œuvre, elles ne figurent point dans le texte traduit. Dans ces prédictions, Etman représente une image symbolique de Rome, qui apparaît sous forme d’une femme de plaisir, qui se maquille avec des teintures et des couleurs décoratives. Elle se jette aux bras des centaines d’amants. Selon ces prédictions, elle serait enchaînée comme une esclave, on lui couperait les cheveux lisses par l’ordre d’une femme forte orientale. Elle serait jetée du ciel pour tomber par terre. On y parle d’un homme et d’une femme vénérés par Dieu. Ils feraient tous deux régner l’amour, la paix sur terre. Il n’y aurait plus de pauvreté. A leur époque, les sentiments d’envie, de haine et de sottise disparaîtraient. Les luttes, les combats destructifs, les vols et toutes les formes du mal n’existeraient pas. Le traducteur, en laissant tomber sous silence, les prédictions sibylliennes, en les omettant de son texte-cible, témoigne d’une grande infidélité à l’original. Cet épisode omis incarne la vision d’Etman à propos de la Mère de L’Europe, La Grande Rome. Sa glorification de la reine Cléopâtre et d’Antoine, dont l’ère est marquée par le règne de la paix et de l’amour, témoigne le parti pris par l’auteur A. Etman pour les deux figures royales, qui avaient tant souffert de l’injustice d’une histoire romanisée. Etman ne niait point son admiration pour la reine macédoine de L’Egypte.
Nous notons ainsi que le cogito pré-traductionnel intervient dans le texte traduit, il intervient avec sa culture et ses choix mémoriels.
Le texte original (en arabe) |
Le texte traduit (en français) |
Notre traduction |
“كليوباترا : آلهة مصر و شعب مصر يقفون وراءك و يشدون أزرك….” ([51]) |
” Cléopâtre : Les dieux sont avec toi et le peuple égyptien marche à tes côtés”([52]) |
“Cléopâtre : Les dieux de L’Egypte et le peuple égyptien se dressent derrière toi et vous soutiennent……” |
Dans le texte original, il s’agit d’une phrase unique où le sujet composé ” les dieux et le peuple de L’Egypte” possède un prédicat composé ” se dressent derrière toi et te soutiennent“.
Dans la traduction française, l’unité textuelle ” les dieux de L’Egypte” est remplacée par “les dieux“, niant ainsi l’origine égyptienne des dieux grecs, et à laquelle Etman fait allusion en ajoutant le qualificatif “égyptiens” aux” dieux“.
L’ethnocentrisme déformateur du traducteur défigure et transforme le vouloir-dire de l’auteur pour ne pas causer un choc chez le spectateur-cible, qui éprouverait un choc à l’aveu de l’auteur A. Etman de l’origine égyptienne des dieux gréco-romains.
Conclusion
De ce qui précède, nous pouvons conclure que l’acte de traduire ne s’opère pas seulement entre deux langues : la langue maternelle et la langue étrangère. Ilya une troisième langue, c’est « la langue traduisante reine » ([53]). La troisième langue médiatrice est le fruit d’un rapport d’annexion d’une langue étrangère à la langue maternelle, d’un texte d’arrivée à la langue du départ. La traduction littérale crée de la langue du texte original, un noyau de nouveauté linguistique dans le texte d’arrivée.
En préservant les effets d’étrangeté crées par la langue du texte – source, dans le texte – cible, la traduction participe à la vulgarisation de la langue originale.
« (..) la traduction littérale est l’expression d’un certain rapport à la langue maternelle (qu’elle violente forcément). Tout se passe comme si, face à l’original et à sa langue, le premier mouvement était d’annexion et le second (la retraduction) d’investissement de la langue maternelle par la langue étrangère. La littéralité et la retraduction sont donc les signes d’un rapport mûri à la langue maternelle, mûri signifiant : capable d’accepter, de chercher la « commotion » de la langue étrangère. » ([54])
([1] ) Ballard 1998 : 11
([2] ) Voir (Vinay J.P. Darbelnet 1958)
([3] ) Voir (Nida 1964)
([4] ) Les abassides appartiennent à la troisième dynastie de califes arabes qui a régné، depuis sa capitale Bagdad (aujourd’hui en Iraq)، sur l’ensemble de l’Empire musulman (Califat abbasside، 750-1258).
([5] ) عتمان 2013 :
* Nous nous chargeons de la traduction Française des extraits du livre de Dr. Ahmed Etman (2013).
([6] ) Ahmed Etman était professeur et chef de département de langues classiques (latin et grec)، Directeur du Centre d’études comparées، Faculté des lettres، Université du Caire، président de l’Association égyptienne des études gréco-romaines et de l’Association égyptienne de la littérature comparée. Auteur de nombreuses recherches académiques et de trois pièces de théâtre : L’invité aveugle retrouve la vue (1986)، El Hakim ne suit pas le cortège (1988)، et Cléopâtre éprise de paix (1984) qui est le sujet de notre étude traductologique dans la présente recherche.
([7] ) عتمان 2013 : 13
([8] ) Berman 1985 : 45
([9] ) Berman 1985 : 36
([10] ) Berman 1985 : 88-89
([11] ) Berman 1985 : 88-89
([12] ) Ibid
([13] ) Berman 1985 : 58
([14] ) Ibid.
([15] ) Ibid.
([16] ) Berman 1985 : 81
([17] ) Voir (Guidère 2010)
([18] ) Guidère 2010 : 98
([19] ) Ibid.
([20] ) Ibid.
([21] ) Berman 2008 : 48
([22] ) Berman 1985 : 46
([23] ) Berman 1985 : 60
([24] ) Ibid.
([25] ) Berman 1985 : 53
([26] ) Pavis 1990 : 164
([27] ) Pavis 1990 : 203
* Jean Vilar (1912-1971) est un metteur en scène français، comédien et directeur de théâtre national populaire de 195 / à 1963. Il est le créateur du festival d’Avignon en 1947 qu’il dirige jusqu’à sa mort en 1971.
([28] ) Cité par Gravier in (Gravier 1973 : 44).
([29] ) Berman 2008 : 28
* Georges Bastin définit l’adaptation comme “le processus créateur par lequel le traducteur ajuste et conforme son expression aux conditions et aux contraintes qui lui sont imposées ou qu’il s’impose” in (Bastin 1990).
([30] ) Pavis 1990 : 140
([31] ) Pavis 1990 : 203
([32] ) Ibid.
* nou empruntons le terme à A. Berman
([33] ) Brecht 1975 : 42
* عتمان 1992
([34] ) عتمان 1984 : 53
([35] ) Etman 1999 : 63
([36] ) عتمان 1984 : 14
([37] ) Etman 1999 : 23
([38] ) Etman 1999 : 35
([39] ) عتمان 1984 : 26
([40] ) Etman 1999 : 100
([41] ) عتمان 1984 : 89
([42] ) Le Coran، Al Hujurât (les appartements; 6 ).
([43] ) Etman 1999 : 50-51
([44] ) الآية 6 ، سورة الحجرات ، القرآن.
([45] ) عتمان 1984 : 41
([46] ) Le Coran، Al Ma’idah (la table servie ، 90)
([47] ) Etman 1999 : 56
([48] ) الآية 90 ، سورة المائدة، القرآن.
([49] ) عتمان 1984 : 46
(3) Berman 1995:17
* le cogito pré-traductionnel influence le traducteur dans ses choix mémoriels et ses décisions.La plupart du temps، le traducteur traduit des genres de textes connus. Sa traduction peut être ainsi considérée comme une actualisation de ses anciens choix et de ses solutions antérieures. La plupart du temps son choix de traduction renvoie à une traduction d’objets déjà connus.
([51] ) عتمان 1984: 27
([52] ) Etman 1999 : 35
([53] ) Berman 1999 : 112
([54] ) Etman 1999 : 104